L’enfant a craché dans le ruisselet à ses pieds. La pastille mousseuse descend le cours avec grâce. Sa route est dégagée de tout obstacle. L’eau, encore claire, recouvre des petits galets fauves, gris, veinés, ou troublés comme des billes de verres abrasées par le roulement. À son passage, la glaire y jette son ombre fugace et déformée par l’onde. Les remous et les tourbillons respectent par miracle la cohésion de la salive. Le garçonnet l’accompagne, dédaigneux des griffures de la végétation. Il accélère son pas lorsque la navigation se tourmente. Quelques brins de flore apparaissent dans le lit du ruisseau devenu turbide. Le glaviot garde son cap au milieu du flux. Le cours d’eau ne grossit plus, s’apaise de nouveau, il se jette droit dans une divagation du Fleuve, en une traînée plus claire qui s’épanouit un temps dans l’ocre du limon. Le crachat bifurque, comme avisé de sa route. Il rejoint, un peu plus loin, l’écume jaunâtre qui borde les herbes noyées des talus. L’enfant descend au plus près de l’échouage, contemple l’osmose qui s’opère entre l’écume et le crachat, comment les bulles se durcissent et forment des coques qui brunissent à mesure de leur transformation, le temps que le soleil se couche. Fixées à des plantes vénéneuses, elles attendent d’éclore en d’horribles réplications, roses et luisantes de sanies. Les larves ensemenceront le Fleuve en aval avant leur remontée à maturité, dans le tumulte, la boue et l’entre-dévoration finale qui ne laissera qu’un survivant, couturé, solitaire, crachant à la surface du timide affluent, dans le but de recommencer le cycle. Le garçonnet, après une agonie brève, dévale la berge et, à l’ascension de la lune, entre en putréfaction afin de nourrir sa descendance.
Un crachat//Yves Letort ©