série#07SDT.04

Yves 04-La saison de la guerre

   Où la pugnacité n’empêche pas les sentiments… des considérations qui en découlent

La saison de la guerre était l’été. Or, le domestique n’aimait pas la chaleur. Il détestait l’incommodité des veilles de bataille. Élevé au rang d’écuyer, il volait ici et là des pièces d’équipement, des morceaux de cuirasse, à manger pour deux, afin de présenter son maître sous un jour plus flatteur que les haillons. Le Ténébreux partait à l’assaut avec la piétaille, confiant dans son habileté à désarçonner un ennemi et à s’emparer de sa monture. Une fois juché sur un khâval, nanti de ses équipements de fortune, il avançait, inexorable, au cœur de la mêlée. Il frappait de haut en bas, tantôt crevait sa bête d’emprunt, évitant de peu ses morsures empoisonnées, sautait immédiatement sur un autre, à quatre ou à six pattes. Le domestique suivait au large, achevait parfois le travail précipité du Ténébreux avec le couteau utilisé d’ordinaire à de rares besognes de boucherie lors de leurs vagabondages. La lame tranchait, impartiale, dans toute chair. Point de miséricorde dans le geste. Le serviteur avait déjà vu des soldats, les intestins dans les mains, tenter un dernier baroud, même des alliés, parfois des amis. Le Ténébreux avançait dans la masse compacte, sidéré, dans les volutes de poussières qui transformaient les visages en masques gris. Plus on pénétrait les rangs ennemis, plus le serviteur serrait son maître de près. Discret, il tuait avant l’épée du Ténébreux, aux moments où ce dernier montrait la tentation de mourir en un jour si beau, dans la splendeur du soleil, dans la clameur. Le serviteur frappait, pour le sauver et se préserver, ne pas se retrouver seul dans l’effroi, l’abandon, la pauvreté qui, à deux existait si peu. Le soir venu, plus tard peut-être, alors que son maître dormait près du bivouac, le domestique s’isolait pour pleurer doucement. Sa saison serait le sommeil et l’oubli si la douleur ne dominait en ce monde.
Ce fut ainsi que la terreur régna comme un devoir pour l’un et un fardeau pour l’autre, dans le rêve obscur de leur existence.

Saga du Ténébreux : épisode 4//Yves Letort ©
Illustration//Férid Khalifat ©

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