Prix Émilien Lépingle
descerné par Sylvain-René de la Verdière
LE SACRE DU PRINTEMPS, Alice de Castellanè
Le sol vibre sous les pas ramassés des danseurs. Les feuilles tremblent, mes oreilles bourdonnent. Le tonnerre des bombos anesthésie les sensations. Les hommes ne font qu’un, lancent leur puissant message aux cieux.
Je me présente à eux, revêtue d’un voile translucide. Leurs cris sauvages m’accueillent, entre espoir et terreur. Les percussions s’emballent, leurs danses se font possédées. J’élève les bras, provoquant devant leurs yeux un déluge de mille prismes. La chorégraphie s’affole, les pieds s’enchevêtrent, se heurtent. Les sons crissent, affluent vers les aigus. Je m’avance, lumière crue. Dans mon sillage, des hommes se pétrifient. D’autres s’enfuient, abandonnant derrière eux instruments de musique et de torture.
Le bûcher rougeoie, fume et mon corps n’est que charbon. Le sacrifice a été vain. Je n’apporte ni le soleil ni la pluie, promesses de moisson féconde. Je ne suis pas la messagère des dieux tant espérée. Juste un miroir d’épouvante qui reflète leur propre noirceur hideuse. Une vision d’enfer qui hantera leurs jours et leurs nuits, qui les poursuivra, de père en fils, jusqu’à la vingtième génération.
Illustration//Pascal Dandois