série#07SDT.27

Yves 27-La tour de fer

   Dans lequel on vérifie l’inanité d’un retour au passé

La tour de fer s’élevait à vingt-cinq toises au-dessus du sol. Ses parois uniformément oxydées lui conféraient l’allure d’un gigantesque tronc minéralisé. Le Ténébreux et le domestique avaient entrepris son ascension tournoyante dans ses entrailles. Le vent froid s’engouffrait par des ouvertures qui révélaient aussi l’épaisseur des murs de métal, de la largeur d’une main. La montée s’avéra pénible, comme si la disposition de chaque marche, par leur subtile différence de niveau et de profondeur, visait à décourager toute présence en son sommet. Les deux hommes, toutefois, arrivèrent sur la plateforme qui le couronnait. Celle-ci, immense clou planté dans la terre rouge et ocre, n’oscillait pas. D’ici, dans les temps désormais éteints, partaient les grands vaisseaux de lumière vers les pays hors du ciel. Monde défunt : un autre avait pris sa place, avant d’être lui-même renversé. Qui en tenait le comput ? Les hommes vivaient sans mémoire hormis ce qui avait été éprouvé par eux. Le domestique se rappela soudainement son enfance, au pied de la tour, dans le village de terre compacte. Il évoqua, devant son maître, l’envol des créatures de l’Ancien Monde, aux ailes diaphanes, à l’envergure extraordinaire. Il les revit planer avec lenteur et majesté vers l’horizon, se perdre derrière les monts métallifères, comme jadis les imposants vaisseaux transperçaient le ciel. Un jour, cela aussi avait vécu. Les maisons s’érodèrent, après leur abandon. Ne restaient que des moellons. La disparition des grands voiliers, qui venaient se poser au sommet de la tour, ne fut jamais expliquée. Le domestique, parcourant nombre de contrées, recueillit seulement quelques rumeurs sur leur passage dans le ciel. Les créatures volantes partaient pour un lieu qu’il ne put jamais identifier. Il aurait voulu contempler leur tombe, voir la dessiccation des ailes dans le désert, retrouver son enfance.
Ce fut ainsi que des larmes coulèrent sur les joues, maculées de poussière de rouille, du domestique.

Saga du Ténébreux : épisode 27//Yves Letort ©
Illustration//Férid Khalifat ©

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