Troisième récit de la diligence
Son excellence Amida Amida tenta, par réflexe, de redresser sa fine moustache. Son visage mince ressortait à peine du fond de la diligence : « Par où commencer ? Savez-vous que votre domestique ressemble étrangement au héros de mon histoire ? C’était également un homme rouge, mais seulement en apparences. Il n’empêche… Le mien avait toutes les audaces. Figurez-vous qu’à la suite d’un pari de taverne, il se fit teindre de la couleur si caractéristique de votre domestique. On le voit, après des péripéties amusantes que je vous conterai peut-être, amené auprès de la reine de Larch qui prisait fort ces hommes-là. Sans plus tarder, il besogna la souveraine dans tous les réduits et dans toutes les positions imaginables. Seulement, il comprit le prix de son usurpation, sa vigueur est loin d’égaler celle qu’on prête aux hommes rouges. Le voici contraint d’abuser d’aphrodisiaques et de fortifiants en usant de subterfuges diaboliques, car il était bel et bien devenu prisonnier de la couche royale. Sa Majesté se montrait insatiable et le pauvre faussaire devait remettre bien souvent son métier sur l’ouvrage de sa geôlière. Une menace autre que l’épuisement plana, euh… au-dessus de sa tête : la teinture rouge ne pourrait pas tenir indéfiniment et c’est d’ailleurs cela qui le trahit. En effet, la partie la plus intime de son individu, sujette aux frottements répétés, outre les irritations subséquentes, se décolora. Le recours à l’obscurité comme exotisme dans les ébats abusa brièvement la reine. Cette dernière fit durer un peu le plaisir et dut à regret se résoudre à se priver du faussaire. Mais ce n’était point une ingrate. Elle reconnut l’effort derrière la dissimulation. Elle ordonna sa castration, réservée à tous les anciens amants dont elle était satisfaite, au lieu de l’exécuter. La reine fait collection des attributs et les emportera dans son caveau, à sa mort. L’usurpateur coule des jours heureux comme eunuque à la cour et contente les suivantes avec sa bouche… »
Saga du Ténébreux : épisode 17//Yves Letort ©
Illustration//Férid Khalifat ©
LES DEUX ZEPPELINS 