Où nos héros s’investissent dans la production de sacs à main
Le monstre somnolait devant sa caverne. « On ne va tout de même pas le tuer, si ? » Le Ténébreux haussa les épaules et sortit sa dague. « Attendez, vous savez que j’ai horreur de ça, mais pas au point de contempler votre suicide. En plus, celui-là a l’air intelligent. Vous ne voulez pas discuter, d’abord ? » Le Ténébreux agrippa le domestique et le fit descendre de leur poste d’observation.
« Salut, Peup, ça faisait longtemps. »
Le monstre se retourna.
« Oh non ! pas toi ! c’est trop tôt !
— J’ai apporté tout le matériel. Tu sais bien que c’est périssable. Je ne voudrais pas avoir acheté les médicaments pour rien. Si je reviens, je n’aurai pas tout ça et tu risques de souffrir… »
Le monstre soupira.
« Oui, tu as raison, mais je ne t’attendais pas si tôt, c’est tout. »
Il désigna le domestique.
« C’est ton aide ?
— Pas tout à fait. Il avait peur que je t’assassine.
— Tu ferais une mauvaise affaire. Je te préviens tout de même que je convole la saison prochaine. Tu devras faire appel à un confrère. Et le marché est en train de se restreindre, figure-toi. Le vieux Oupil a pris sa retraite dans un cirque ambulant. D’ailleurs, tu seras gentil d’augmenter les tarifs : trois cent cinquante thalers d’or, cinquante de plus, quoi.
— Accordé, à condition que je trouve un acheteur.
— Mais regarde donc mon joli scrotum ! Je me suis laissé dire que la vogue du sac à main fait encore fureur. Je ne t’ai jamais fourni de la mauvaise qualité. J’ai une hygiène rigoureuse et j’entretiens ma peau et ma fourrure !
— On passe à l’ablation ? »
Les épaules du monstre s’affaissèrent. Il s’engagea dans la caverne en compagnie du Ténébreux.
L’opération s’avéra rapide. Le Ténébreux possédait le tour de main. Ils se donnèrent rendez-vous pour le paiement, et pour après ses noces, quand son scrotum aurait repoussé.
Ce fut ainsi que le Ténébreux refusa catégoriquement de se restaurer avant de repartir. Lorsque le domestique lui en demanda la raison, il lui répondit laconiquement :
« Des rognons au menu ».
Saga du Ténébreux : épisode 10//Yves Letort ©
Illustration//Férid Khalifat ©
LES DEUX ZEPPELINS 