série#07SDT.09

Yves 09-La plaine

   Dans lequel la lassitude prend fin au pied des collines

Elle était apparue dans le soleil terne d’un matin — pas de quoi éblouir le Ténébreux et le domestique. C’était une guerrière, comme on en trouvait près du canal de Speck, sèche à en être presque décharnée. Ses yeux s’absentaient du monde. Elle s’adressa aux deux hommes, afin de préparer une chasse. La récompense viendrait au résultat de la poursuite, un simple billet à ordre, exigible dans n’importe quel comptoir. La somme paraissait belle. Le domestique voulut bien jouer le chien limier, puisqu’il était doué pour cela. Le Ténébreux accepta le rôle de garde du corps, bien que la femme n’eût point besoin de protecteur. Parfois, se retournant, le domestique contemplait cet étrange couple, à plusieurs pas en arrière. Le silence planait lors des veillées où il s’empressait de se coucher pour ne pas en ressentir la pesanteur. La découverte d’une trace sur la vaste plaine d’argile rouge lui procura un provisoire sentiment de légèreté. Seulement, rien ne vint aviver le reste de la journée. Le soir fut morne, autant que l’éveil du lendemain. On continua de suivre la piste pendant cinquante jours. Les signes de plus en plus évidents lui indiquaient une femme, fatiguée, usée, qui ne prenait plus soin de se dissimuler. Il découvrait des traces de lassitude et non celles d’une fuyarde. Le trio la rejoignit au pied des collines, là où le rouge tournait à l’ocre sombre, presque noir. Elle attendait, accroupie, près d’un cubardent qui ne jetait plus qu’une lueur pourpre. Le Ténébreux et le domestique se tinrent en retrait. Les deux femmes étaient assises à quelques pas l’une de l’autre. La confrontation silencieuse dura. La nuit tomba. La guerrière de Speck assassina sa proie au matin. Elle l’égorgea. Le billet à ordre fut échangé immédiatement et le domestique se demanda quelle main était la plus sanglante : celle qui donnait ou bien celle qui recevait ?
Ce fut ainsi que le crime fut commis et qu’ils n’en surent jamais la raison. Ils brûlèrent le billet et n’en parlèrent jamais.

Saga du Ténébreux : épisode 9//Yves Letort ©
Illustration//Férid Khalifat ©

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