Dans lequel Le Ténébreux affronte le Grand Prêtre de Din, où éclate la vérité
Il parut dans les traînes d’un manteau de rêve, les volutes de songes dont il semblait revêtu étendaient leurs tentacules diaphanes au-dessus des fidèles. Ceux-là oscillaient du buste avec lenteur, d’avant en arrière, dans un bourdonnement de ruche hypnotisée. Le Ténébreux et son domestique avaient évité la boisson propitiatoire et, rencognés dans une partie obscure, observaient l’apparition du prêtre. Tel un prince, il avançait au milieu de l’assemblée. Ses mains ornées de pierres précieuses, sa tunique brodée comme une tapisserie, donnaient l’impression d’un habitant de la lointaine Barbarie. Les trois jeunes filles, sans un regard en arrière pour leur famille, emboîtèrent les pas du mage. Elles furent précipitées dans le brasier sans un cri, sans une larme, sans un soupir. La foule déserta rapidement la cérémonie, félicitant les parents des nouvelles fiancées du dieu Din, et après avoir dit un mot de consolation auprès des promis que la divinité avait déshérités. Dans le temple désert, Le Ténébreux s’engouffra dans ce qui tenait lieu de presbytère. Il était temps de mettre fin à ces coutumes cruelles ! Sous la pointe de l’épée, le prêtre avoua : les demoiselles n’étaient pas mortes, mais, afin de fuir les mariages arrangés, simulaient ce sacrifice. Qui pouvait les en blâmer lorsque l’on contemplait les abrutis qui habitaient la Plaine aux Mille Fanions ? Les jeunes filles se montrèrent et implorèrent que l’on épargne leur sauveur. La femme du prêtre survint également. Elle traita son époux de bon à rien, bougonna en serrant vigoureusement la main du Ténébreux et embaucha illico le domestique à la cuisine. On fit bombance avec les offrandes. On veilla tard. Les jeunes filles gagnèrent leurs quartiers. Elles fuiraient la région le lendemain, discrètement, libres d’entraves.
Et ce fut ainsi, que le prêtre et Le Ténébreux discutèrent de théologie avec gravité jusqu’au petit matin, et que la femme se divertit en compagnie du serviteur, entre deux vigoureux blasphèmes.
Saga du Ténébreux : épisode 5//Yves Letort ©
Illustration//Férid Khalifat ©
LES DEUX ZEPPELINS 